Il y a plus de 2500 ans, le bouddhisme apparaît dans le Nord de l’Inde. Le prince du clan Shakya, appelé Gautama, atteint la compréhension ultime de la nature des êtres et des phénomènes : l’état éveillé de bouddha. Cet événement extraordinaire se produit à Bodhgaya, dans la plaine gangétique. Dès lors, le prince Gautama se fait connaître sous le nom du Bouddha Shakyamuni, le fondateur de la voie bouddhique.
Lire la suite : Le bouddhisme : d’abord un enseignement oral
La discipline ou l’éthique, les enseignements concernant les différents types de méditation, les vues philosophiques sur la nature des êtres et des phénomènes : ces trois aspects fondamentaux de l’enseignement du Bouddha correspondent aux trois corbeilles, le premier ensemble d’ouvrages qui a compilé tous les discours et enseignements de l’éveillé. Ecrit en sanskrit, le Tripitaka (littéralement : trois corbeilles) constitue le canon du bouddhisme indien ou Théravada. Il se divise donc en trois sections distinctes.
L’enseignement du Bouddha s’appuie sur une vision universelle de la nature humaine puisque chaque être possède la capacité d’éveil. Rien d’étonnant dès lors à ce que cet enseignement se soit répandu au-delà de l’Inde et, en premier lieu dans la plupart des pays d’Asie. Traduits, les textes d’origines se sont aussi enrichis des commentaires (ou shastra) des nombreux maîtres, qui, ayant atteint à leur tour l’éveil en suivant l’exemple du Bouddha, ont offert de nouveaux éclairages sur le sens de certains soutras. Par ailleurs, trois grands courants émergèrent, trois « véhicules » pour cheminer sur la voie de la libération et chacun donna naissance à son propre corpus.
Le Bouddha lui-même a souhaité que les enseignements puissent être donnés et préservés dans la langue de chacun. Important, le processus de traduction fut facilité au départ par la proximité des langues indo-européennes (pali, sanskrit, prakrit…) des régions où le bouddhisme se diffusa tout d’abord. Le mécanisme s’avéra bien plus complexe lorsque la sphère d’influence s’étendit en Asie centrale et orientale. L’adaptation chinoise, par exemple, marquée par des traditions culturelles millénaires et l’usage des idéogrammes, fut particulièrement difficile, s’étalant sur plusieurs siècles, avec des styles et des résultats très variés. Au Tibet, l’enjeu fut tout autre : l’écriture fut quasiment créée de toute pièce pour la traduction des enseignements du bouddha. Celle-ci fut rapide et s’élabora en deux étapes, au 8è puis au 10è siècle.
316 volumes, plus de 5000 textes et quelques 230 000 pages : voilà ce que les Tibétains ont compilé dans le corpus qui rassemble l’ensemble des écrits canoniques se rapportant à l’enseignement de l’éveillé. Ce phénoménal trésor de connaissances s’organise à travers deux ensembles d’ouvrages : le Kangyur consacré à la parole du Bouddha et le Tengyur, qui regroupe les nombreux commentaires des maîtres indiens du passé visant à expliciter certains aspects de l’enseignement originel.
Le 14è siècle marque un développement nouveau dans l’histoire du bouddhisme tibétain. L’Inde a subi des incursions turques provoquant le déclin de la doctrine du Bouddha en son pays d’origine. Les grands chantiers de traductions sont alors achevés au Tibet et une nouvelle étape dans l’implantation de l’enseignement prend place : elle consiste en la collection, la compilation et l’édition des textes formant le corpus bipartite du Kangyur et du Tengyur, le canon sacré du bouddhisme tibétain.
Du 14è siècle à nos jours, le canon du bouddhisme tibétain aura connu de nombreuses éditions et variantes. A partir de la première édition manuscrite de l’ancien Narthang, deux traditions principales, celle de Zhalu à l’Est et celle de Tshalpa à l’Ouest se dégagèrent. La seconde servit de base à la réalisation de nouvelles éditions, non plus manuscrites mais xylographiques, en Chine et au Tibet. Synthèse de différentes traditions, une édition issue de celle de Dergué vit le jour au début du 18è siècle et devint la référence de la plupart des copies ultérieures.
Le terme « édition » appliqué aux premiers canons du bouddhisme tibétain mérite d’être bien précisé. En effet, il ne s’agit pas de la simple reproduction, publication et diffusion commerciale d’une œuvre sous forme d’un objet imprimé, ce qui est la définition de ce terme aujourd’hui. L’édition, dans le contexte de l’établissement du canon tibétain, a demandé un immense travail de collection des textes, de collation, de corrections ainsi que la mise en œuvre de chantiers artisanaux impliquant de nombreux corps de métiers comme des copistes, des graveurs et des imprimeurs.
La motivation première lors de la création d’un corpus canonique au Tibet fut le souhait de fixer l’enseignement du Bouddha en un tout cohérent et organisé, afin de le préserver et de le transmettre. Cependant, l’utilisation de cet ensemble formidable de textes dépasse la seule référence aux paroles de l’éveillé pour révéler une multitude de facettes, allant de la vénération de l’objet sacré au développement de l’activité méritoire. Ainsi, l’objet lui-même et le sens qu’il véhicule son intimement liés.