Le terme « édition » appliqué aux premiers canons du bouddhisme tibétain mérite d’être bien précisé. En effet, il ne s’agit pas de la simple reproduction, publication et diffusion commerciale d’une œuvre sous forme d’un objet imprimé, ce qui est la définition de ce terme aujourd’hui. L’édition, dans le contexte de l’établissement du canon tibétain, a demandé un immense travail de collection des textes, de collation, de corrections ainsi que la mise en œuvre de chantiers artisanaux impliquant de nombreux corps de métiers comme des copistes, des graveurs et des imprimeurs.
Les premières éditions manuscrites relevaient de véritables chantiers d’excellence, qui n’auraient pu voir le jour sans le patronage financier des commanditaires royaux ou monastiques. Le mécène était alors considéré comme propriétaire du manuscrit réalisé même si ce dernier était préservé au monastère. Ainsi, l’édition imprimée de Dergé a-t-elle été commandité par le roi Tenpa Tséring qui a activement soutenu la construction de l’imprimerie de Dergé aujourd’hui mondialement connue, toujours en activité et ouverte au public.
La révision manuscrite du canon par le grand érudit Butön au 14è siècle a pour sa part réclamée une organisation logistique et intellectuelle sans pareille. Il fallut dans un premier temps fixer une ligne orthographique et de ponctuation, de même que la calligraphie. Véritable grande entreprise, la réalisation de la nouvelle édition s’appuya aussi sur une hiérarchie complexe de directeurs de publication, de copistes en chef, de relecteurs, de scribes, de chargés de la collation, de fabricants de papier et d’encre, d’orfèvres (pour la confection des couvertures de chaque volume), de forgerons (chargés de la réalisation des boucles et des brides d’attache), etc. La copie, alors unique moyen de reproduction de l’écrit, se devait d’être au plus proche de la perfection, l’excellence était de mise dans tous les domaines, tant au niveau intellectuel qu’artisanal.
La correspondance épistolaire de Butön ne nous renseigne pas sur le nombre exact de travailleurs employés à la réalisation d’un tel projet, cependant des documents historiques attestent de plusieurs centaines de personnes et de la bonne rémunération des artisans et employés impliqués dans ces projets d’envergure.
Nul doute que les éditions xylographiques postérieures ont nécessité la même somme de travail et la même exigence de qualité.
On peut d’ailleurs souligner que le directeur de publication engageait son érudition et sa rigueur dans un tel projet et s’exposait à la critique si l’édition dénombrait trop de fautes ou d’incohérences. La réputation des érudits était mise en jeu à travers ces efforts pour la pérennité et la diffusion de la parole du Bouddha.
La xylographie est la première technique d’imprimerie inventée et utilisée par les Chinois. Le procédé consiste à graver sur une tablette de bois le texte ou l’image souhaitée en négatif, ce qui fournit ainsi une empreinte pouvant être reproduite par estampage ou impression. Si cette technique est d’une grande simplicité dans ces matériaux et ses principes, sa mise en oeuvre requiert néanmoins l’expertise d’artisans graveurs de haut vol. Il semblerait que les Tibétains aient été sensibles à ce procédé et l’adoptèrent dès le 14è siècle, voire même avant. Même si de nouvelles techniques ont largement dépassé cette dernière en matière d’imprimerie en Chine, les Tibétains lui sont demeurés très attachés et l’utilisent encore de nos jours.
A chaque folio d’un texte correspond une planche de bois gravée en négatif. L’impression s’effectue en enduisant la planche d’encre puis en appliquant la feuille de papier vierge sur celle-ci, la pression du papier réalisant l’impression. Chaque page de texte imprimée donne lieu à un travail colossal de préparation du bois (découpe aux dimensions appropriées, séchage du bois -souvent du bouleau rouge, trempage, etc.), du papier et de l’encre. Avant de débuter la gravure, les épreuves servant de base étaient relues jusqu’à douze fois afin qu’un minimum d’erreurs ne s’immiscent dans ces éditions alors plus stables que celles manuscrites.
Le texte exposé présentement est constitué au total de 103 volumes pour le Kangyur et 213 volumes pour le Tengyur. Ces 213 volumes représentent plus de 46 500 pages, soit autant de planches gravées et préservées, formant ainsi d’immenses bibliothèques de bois qu’un incendie peut réduire à néant en peu de temps !
L’introduction de la xylographie a permis la multiplication des reproductions du canon (les planches de bois sont réutilisées jusqu’à usure). Un autre facteur propre à ces éditions imprimés est aussi souligné : une lisibilité accrue par une certaine normalisation de la mise en page et de la ponctuation.